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Jurisprudence - nationale


COUR D'APPEL D'ABIDJAN

PREMIERE CHAMBRE SOCIALE


Matière : SOCIALE

Arrêt N° : 38 SOC/16 du 09 décembre 2016

Solution : CONFIRMATION


AFFAIRE

Mme NANGUY EPOUSE CHIDZO SUZANE ET AUTRES
C/
SICOGI


Titrage :

Jugement 1er ressort
: Licenciement légitime conforme aux prescriptions légales

Cour d’appel: Contrat de travail - Action en annulation du licenciement pour fait de grève – Rupture abusive du lien contractuel – Action en paiement des droits de rupture (non) – Paiement de dommages et intérêts – Délivrance de certificat irrégulier (non) – Remboursement d’une année d’allocation de retraite (non).


Résumé :

1) De la rupture du lien contractuel

Dès lors que les appelants qui soutiennent avoir observé les formalités prescrites pour déclencher une grève, ne rapportent cependant pas la preuve du respect des dispositions de l’article 82-16 du code du travail en produisant le procès verbal de non conciliation de la sentence arbitral ayant acquis force exécutoire avant la reconduction de la grève, c’est à bon droit que le tribunal a confirmé le jugement du tribunal de première instance en déclarant le licenciement légitime et débouter leurs prétentions en paiement des dommages et intérêts pour licenciement abusif.


2) Sur le paiement de dommages et intérêts pour délivrance de certificats irréguliers


Dès lors que conformément à l’article 1614 du code de travail, l’employeur a remis sous peine de dommages et intérêts, un certificat de travail indiquant exclusivement la date d’entrée et de sortie, la nature et les dates des emplois successivement occupés,  il y a lieu de débouter les appelants car ils ne rapportent pas la preuve d’un préjudice subis suite à la délivrance des certificats de travail


3) Sur le remboursement d’une année d’allocation de retraite


Il y a lieu de déclarer mal fondée la demande de l’appelant sur le retard accusé dans le paiement de sa pension car bien que licencié en 2007, et ayant atteint l’âge de la retraite le 1er juin 2011, ce n’est qu’en décembre 2011 que celle-ci s’est rapprochée de son employeur pour la constitution de son dossier de retraite.


LA COUR

Vu les pièces du dossier de la procédure ;


Ouï les parties en leurs demandes, fuis et conclusions :


Vu les conclusions du Ministère public en date du 11 octobre 2016 ;


Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;


DES FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES


Considérant que par acte de Greffe n° 622/2013 du 30 juillet 2013, la SCPA le PARACLET, avocats à la Cour, Conseil de Madame NANGUY épouse CHIDZO SUZANNE et autres, a déclaré interjeter appel du jugement contradictoire n° 1092/CS1/13 du 18 juillet 2013 rendu par le Tribunal du Travail d'Abidjan-Plateau qui a statué comme suit :


« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale et en premier ressort ;


Dit que le licenciement intervenu est légitime :


En conséquence, déclare mal fondées et rejette comme telles les demandes en paiement de NANGÜY épouse CHIDZO SUZANNE. ACHIE KOUSSO CLAIRE, AHOU épouse CISSE ELISE, KOFFI EDWIGE BERTHE, OUATTARA LANFIA et KOBOU ABOU » ;


Considérant que les appelants exposent à l'appui de leur recours que les 01 octobre 1976 et 1978, 06 novembre 1979, 03 octobre et 02 novembre 1983, et le 01 février 1996, ils ont été engagés par la Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière dite SICOGI SAEM:


Qu'ils ont occupé divers postes dont les derniers en date, étaient respectivement ceux de : Chef de Service Copropriété, Agent de Recouvrement, Chef de Section Social, Chef de Section « Quittancement », Chef du Bureau Marketing, Chef de Service Exploitation ;


Qu’ils ont toujours travaillé avec dévouement et abnégation, mettant tout leur labeur au service de leur employeur jusqu’à totaliser de dix à trente ans d'ancienneté dans la même société :


Que le 08 novembre 2007, le Syndicat des Travailleurs de la SICOGI a saisi la Direction Générale de cette dernière d'un préavis de grève relatif à un arrêt concerté de travail allant du 16 novembre à 18 h 00 au 20 novembre 2007 à 00 h ;


Que les points de revendication n'ayant pas été satisfaits, la reconduction en était décidée par une correspondance en date du 27 novembre 2007 pour une autre période de grève courant du 05 au 07 décembre 2007 ;


Qu'après l'écoulement du délai légal, le 05 décembre, la grève, débutée à 09 h 00, a été interrompue à 13 h 00 par l'arrivée du Directeur du Travail et des Lois Sociales qui a appelé les travailleurs à la négociation ;


Qu'après une réunion entre les parties, un procès-verbal était dressé demandant à toutes les parties d’interrompre toute action ;


Que le 06 décembre 2007, ils revenaient travailler normalement, étant à leurs postes respectifs depuis l'ouverture des bureaux jusqu'en fin de journée;


Que toutefois, entre 17 h et 19 h 00, ils recevaient chacun, des lettres de licenciement par exploit d'huissier ;


Que des travailleurs de dix (10) ans d'ancienneté minimum dans la même entreprise ont été congédiés pour « avoir participé à une grève jugée illégale par leur employeur » ;


Que suite à cet événement, ils saisissaient le Ministre de la Fonction Publique et de l'Emploi ;


Que par courrier numéro 681/MFPE/CAB/DGT du 03 octobre 2008, sur demande de Monsieur le Président de la République, le Conseil National du Travail a été saisi du Conflit les opposant à la SICOGÏ par le canal de la Centrale Syndicale UGTCI ;


Que vidant sa saisine, le Conseil National du Travail (CNT) émettait l'avis numéro 001 -CNT du 15 septembre 2009. par lequel, il faisait observer que la Direction Générale de la SICOGI, ayant commis un abus de droit, devait procéder à « la réintégration des travailleurs protégés et non protégés licenciés », après avoir conclu que « la responsabilité totale et entière de la Direction Générale de la SICOGI était engagée dans le déclenchement et la poursuite de la crise en son sein, que les travailleurs n'ont commis de fautes qui justifient leur licenciement, et que tous les licenciements opérés ne sont pas fondés » ;


Qu'en dépit de l'interpellation constante des Centrales Syndicales, notamment aux fêtes du travail du 1er Mai, l’employeur n'a pas procédé à la réintégration de ses travailleurs, foulant du coup au pied la principale recommandation du CNT contenue dans son avis précité ;


Qu'au moment de leur licenciement, il leur a été remis des certificats de travail ne mentionnant pas les emplois qu’ils ont occupés dans la société ;


Que pis, ils relèvent que la SICOGI, qui devait déposer, au plus tard le 30 juin 2011, à la CNPS le dossier de liquidation de la pension


de retraite de Dame NANGUY épouse AKE CHIDZO Suzanne, admise à faire valoir ses droits à la retraite au 31 Décembre 2011, ne l'a fait que le 09 février 2012, de sorte que celle-ci a perdu le bénéfice d'une année d’allocation de cette pension, estimée à la somme de 3 387 756 F CFA ;


Qu'ils soutiennent que c'est à ton que le Tribunal a soutenu que la rupture de leurs contrats de travail était légitime ;


Que pour eux, c'est à tort que le premier juge s'est focalisé sur l’article 82.16 du Code du Travail en feignant d'ignorer les dispositions des articles 82.1, 82.2 et 82.3 alinéa 3 dudit Code ;


Que selon eux. une lecture combinée de ces articles, il ressort que la grève projetée par les salariés doit être précédée d'un préavis de six (06) jours ouvrables au moins.


Qu'en l'espèce, ils déclarent avoir respecté cette formalité ;


Qu'au regard des textes sus visés, le préavis de grève permet que la négociation entre les parties soit déclenchée ;


Que l'initiative de cette négociation, selon l'alinéa 3 de l'article 82.3, appartient à l'autorité compétente qui dispose de cette période pour le faire ;


Qu'en l'espèce, après avoir reçu le préavis de grève, l'autorité compétente n'a pas pris d'initiative pour la négociation jusqu'au jour fixé pour entamer la grève ;


Que lorsque la négociation n'a pas pu démarrer dans la période de six (06) jours, celle-ci peut être entamée alors que la grève a déjà commencé ;


Que c'est lorsqu'ils sont rentrés en grève que cette autorité s'est rendue sur les lieux pour enclencher les négociations.


Que dans une telle hypothèse, dès lors que la négociation a débuté, la grève doit être suspendue ;


Qu'alors pour respecter l'article 82.16 du Code du Travail qui dispose que « les grèves engagées ou continuées en violation des présentes dispositions peuvent entraîner pour ces travailleurs la perte du droit à l'indemnité de préavis et aux dommages-intérêts pour rupture du contrat », ils ont mis fin à la grève légalement entamée à 13 h 00, lorsque l’Inspecteur du Travail le leur avait demandé ;


Qu'ils affirment qu'il y aurait eu violation du droit à la grève que si une grève, déclenchée et suspendue pour négociation, était reprise au cours de la procédure de négociation ou après ;


Or, font-ils savoir, qu'ils ont suspendu tout mouvement de grève en reprenant 3e travail dès le lendemain ;


Que de ce fait ils soutiennent qu'il ne peut leur être reproché d'avoir participé à une grève illégale ;


Qu’ils sollicitent, par conséquent l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, et le paiement à leur profit de tous les droits de rupture réclamés parce que leur licenciement est abusif;


Considérant que pour résister à ce recours, la Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière dite SICOGI, par le biais de son Conseil, Maître Koné ADIARATOU, Avocat à la Cour, a, pour sa part, conclu à la confirmation du jugement querellé;


Qu'elle explique que les dispositions des articles 82.1. 82.2 et 82.3 alinéa 3 du Code du Travail, que les appelants visent, se rapportent aux diligences obligatoires qui précèdent la grève ; Alors qu'en l'espèce, il leur est reproché la violation de l'article 82.16 qui interdit la grève avant la fin de la procédure de conciliation ;


Que contrairement aux allégations des appelants, elle fait observer que ceux-ci s’abstiennent de préciser qu'âpres leur premier préavis de grève, déposé le 08 novembre 2007 qui a été suivi de l'ouverture de négociations, ils ont reconduit le préavis de grève et l'ont mis en exécution alors que la procédure de négociation était en cours et n'avait pas abouti à la rédaction d'un procès-verbal ;


Qu'elle estime donc que le jugement entrepris n'encourt aucune critique sur le point de la rupture du contrat de travail des appelants;


Que concernant les demandes en paiement de droits de rupture et de dommages-intérêts, elle conclut que c'est à bon droit que le premier juge les a rejetées en ce que non fondées ;


Qu'elle demande alors de confirmer également le jugement attaqué sur ce point ;


Considérant que par des conclusions en réplique, en date du 26 novembre 2015, les appelants, après avoir réitéré leurs précédents propos, ont tenu à préciser que c'est malhonnête de la part de la SICOGI de prétendre qu'ils ont reconduit une grève après l'ouverture des négociations ;


Que la violation de l'article 82.16 alléguée n'était pas constituée, et qu'aucune faute ne peut être retenue à leur encontre ;


Considérant que la SICOGI, réagissant sur les observations des appelants, a indiqué que ceux-ci n'ont pas attendu la transmission du dossier par l'Inspecteur du Travail, Monsieur ASSOUMOU François, qui a dirigé la réunion, à l'autorité compétente, et ont reconduit leur préavis de grève :


Que par ailleurs, elle souligne que l'avis du Conseil National du Travail, en date du 15 septembre 2009 recommandant la réintégration des appelants, ne peut prospérer ;


Que cet avis, intervenu deux ans après leur licenciement, n'a aucune valeur contraignante pour elle dans la mesure où il ne s’inscrit pas dans le processus légal de règlement des différends collectifs institué par le Code du Travail ;


Que selon elle, il ressort du décret n° 2007-608 du 08 novembre 2007, portant création du Conseil National du Travail, ce dernier n'est qu'un facilitateur donc un arbitre ;


Or, l'arbitrage, dans le processus légal de règlement des différends collectifs, n'intervient qu'après l'échec de la conciliation, tandis qu'en l'espèce, les appelants ont de façon unilatérale rompu le processus en observant la grève avant même la fin de la conciliation ;


Qu'elle relève avoir adressé au Conseil National du Travail une réponse négative suite à l'avis émis ;


Considérant que le Ministère public, à qui le dossier de la procédure, a été communiqué, a requis, suivant des conclusions en date du 11 octobre 2016 la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions :


DES MOTIFS


En la forme


Sur le caractère de la décision


Considérant que la SICOGI a conclu ;


Qu'il sied de statuer par décision contradictoire ;


Sur la recevabilité de l'appel


Considérant que l'appel de Madame NANGUY épouse AKE CHIDZO SUZANNE et autres a été interjeté dans les forme et délai légaux ;


Qu'il convient de le déclarer recevable ;


Au fond


Sur la rupture des liens contractuels


Considérant que les appelants concluent au caractère abusif de leur licenciement parce qu'ils n'ont fait aucune grève illégale ;


Considérant que la SICOGI a, de son côté, déclaré avoir licencié ses ex-employés qui ont de façon unilatérale rompu le processus en observant la grève avant même la fin de la conciliation ;


Considérant, en effet, qu'aux termes de l'article 82.16 du Code du travail sont interdites toutes grèves avant épuisement de la procédure de conciliation et du délai de six jours ouvrables suivant la notification aux parties du procès-verbal de non conciliation, avant épuisement de la procédure d'arbitrage prévues aux sections 3 et 5 ou en violation des dispositions d'un accord de conciliation, d'une sentence arbitrale ou d'une recommandation ayant acquis force exécutoire » ;


Qu'en l'espèce, les appelants, qui soutiennent avoir observé les formalités prescrites pour le déclenchement d'une grève, ne rapportent cependant pas la preuve du respect des dispositions de l'article 82.16 susmentionnées en produisant le procès-verbal de non conciliation ou de conciliation, ou encore la sentence arbitrale ayant acquis force exécutoire avant la reconduction de la grève ;


Que dès lors, il convient d'en déduire que leur licenciement, intervenu suite à une grève illégale, est légitime ;


Qu'il sied donc de les débouter de leurs prétentions en paiement de dommages intérêts pour licenciement abusif ;


Sur le paiement de dommages-intérêts pour délivrance de certificats de travail irréguliers


Considérant qu'aux termes de l'article 16.14 alinéa 1 du Code du travail « à l'expiration du contrat, l'employeur doit remettre au travailleur, sous peine de dommages-intérêts, un certificat de travail indiquant exclusivement la date de son entrée, celle de sa sortie, la nature et les dates des emplois successivement occupés » ;


Qu'en l'espèce, les appelants sollicitent la condamnation de la SICOGI à leur payer chacun la somme de 3 000 000 F CFA à titre de


dommages-intérêts pour délivrance de certificats de travail non conformes aux emplois par eux occupés ;


Considérant cependant qu'il ressort des pièces du dossier que des certificats de travail, conformes aux vœux de ceux-ci ont été établis et délivrés aux intéressés à la barre du Tribunal sans qu'aucune réserve art été élevée ;


Que dans ces circonstances, en l'absence de toute preuve de préjudice rapportée, il échet de débouter les appelants de leur demande mal fondée ;


Sur le remboursement d’une année d'allocation de retraite


Considérant que Madame NANGUY épouse AXE CHIDZO SUZANNE demande la condamnation de la SICOGI à lui payer la somme de 3 387 756 F CFA à titre de remboursement d'une année d'allocations de retraite, parce que celle-ci ayant déposé son dossier tard à la CNPS son dossier de retraite, elle a été privée de bénéficier de cette somme ;


Considérant toutefois, que l’appelante ne conteste pas qu'ayant atteint l'âge de la retraite le 01 février 2011, elle ne s'est approchée de son employeur qu'en décembre 2011 pour la constitution et le dépôt de son dossier à la CNPS, alors qu'elle a quitté la société depuis 2007 ;


Qu’ainsi, il apparaît qu'aucun retard ne peut être imputé à la SICOGI ;


Qu'il échet donc de débouter Madame NANGUY épouse AKE CHIDZO SUZANNE de sa demande mal fondée ;


Statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale, et en dernier ressort ;


En la forme


Déclare NANGUY épouse AKE CHIDZO SUZANNE, ACHIE KOUSSO CLAIRE, AHOU épouse CISSE ELISE, KOFFI EDWIGE BERTHE, OUATTARA LANFIA et KOBOU ABOU recevables en leur appel ;


Au fond


Les y dit mal fondés;


Les en déboute ;


Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions.


En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement par Madame le Premier Président de la Cour d’Appel d’Abidjan, les jour, mois et an que dessus ;


Et ont signé le Président et le Greffier ;


Président : N’guessan Alice